Rodez : Une sculpture monumentale pour Rodez

Réaliser une sculpture, c’est ?

C’est transformer la matière et accepter de se soumettre aux lois physiques et au principe de réalité propre à cet art.

RODEZ est construite de soixante segments d’acier de dimensions variables, nommés HEA, utilisés généralement dans la construction de bâtiments industriels. Dans ma sculpture, j’ai l’ai baptisé le CarréH. Ici 52 mètres de poutrelle, 104 mètres linéaires de fer plat de 8 et 10 mm, 416 métrés de soudure réalisés en deux passes de soudage. 45 heures d’ébarbage, 60 heures de finition et 5 couches de peinture ont été nécessaires à la réalisation de RODEZ

 

Le principe de réalité

Sculpter par ajout et non par soustraction. Successivement additionner module après module pour atteindre la présence d’un corps. Fermer la ligne, puis recommencer jusqu’à atteindre le nombre indispensable pour faire un seul et même corps.

Mais encore, se confronter à la densité de la matière et à celle du vide, de l’air. Veiller à son équilibre. La sculpture obéit à des règles de physique, c’est ce que j’appelle, le principe de réalité.

Une sculpture est comme un corps. Pour tenir debout, il lui faut une colonne vertébrale et pour embrasser le vide, des bras qui happent l’espace et ainsi donner à ce corps toute sa puissance émotionnelle.

 

Pas droit à l’erreur

La sculpture ne permet aucun droit à l’erreur. Outre le choix du positionnement de la ligne dans l’assemblage de l’oeuvre qui peut prendre plusieurs heures voire même plusieurs jours de travail pour trouver le bon angle, le bon équilibre entre la densité de l’acier et le vide. C’est cet équilibre subtil qui fait que l’oeuvre trouve en elle sa puissance sa dynamique sa force et sa stabilité.

Ici, il n’y a pas droit à l’erreur car si elle vous échappe, la ligne de 455 kg peut vous écraser sans vous laisser la moindre chance de survie. C’est une lutte physique - tendre les palans, ajuster la ligne dans l’espace, mais aussi mentale - tenir, projeter le geste à venir pour que celui-ci soit mentalisé dans son esprit et son corps afin d’être immédiatement au plus juste. C’est comme le danseur qui connait sa chorégraphie : être dans le bon mouvement avec la ligne et les portiques qui me servent d’assistants.

 

Le Mariage de la ligne

Placer, déplacer, replacer, ajuster la ligne afin qu’elle vienne se positionner avec précision et exactitude à la précédente, que le mariage entre les lignes puisse se faire sur le plan formel, mais aussi sur le plan technique. Il faut que l’assemblage des deux éléments réponde à la traction de l’arrachement et à la gravitation de la ligne dans l’espace. La poutrelle d’acier est flexible, elle se vrille sous son propre poids ce qui cause une déformation de l’oeuvre, je dois contredire dans l’épaisseur de la ligne toutes ces déformations de sorte que la matière ne me dicte pas son choix, mais bel et bien que mon intention soit dominatrice sur elle.

J’étudie la matière de façon empirique et intuitive. Une fois l’oeuvre figée, je tends les lignes par traction en exerçant une pression maitrisée sur les points d’accroche de sorte à mettre l’acier sous tension pour au final, obtenir une fois la ligne fermée et chargée de l’ensemble des contreforts internes nécessaires à sa résistance, son positionnement parfait dans l’espace.

 

Mesurer son pouvoir sur le réel

Pour accomplir cette construction, il faut s’accomplir soi-même, se décharger de l’effort physique et pousser son schéma mental à l’extrême de sa puissance émotionnelle, jouir de cette tension interne qui existe entre le corps et l’esprit pour donner à l’oeuvre toute sa puissance évocatrice.

Cet affrontement entre soi et la matière permet de mesurer son pouvoir sur le réel, mais les contraintes imposées par celui-ci, entraine une lutte entre les éléments et ses aspirations sollicitant une énergie relevant d’une quête spirituelle. Réaliser une oeuvre, c’est se réaliser soi-même.

Transformer la matière, c’est le passage à l’acte par excellence. Ce passage s’appelle le travail, c’est répondre aux exigences du matériau et à l’impérieuse nécessité d’être convaincu de son idée, RODEZ a été refaite trois fois dans mon atelier.

 

 

L’objet dans l’espace et assurer sa permanence

Faire le geste. La sculpture est l’art de la maîtrise de l’espace. Ce n’est pas la grandeur physique de l’oeuvre qui est importante, c’est sa capacité à prendre et à transformer l’espace qui l’accueille.  La sculpture classique, ou la sculpture contemporaine, dans l’espace public du jardin des Capucins nous rappelle que l’art est essentiel à notre condition humaine. Elle est la forme figée dans le marbre ou l’acier de l’histoire des hommes. L’oeuvre renouvelle le regard, le change et par extension nous change. L’art révèle notre rapport au monde et aux autres. J’ai plaisir à imaginer que les petits Ruthénois en feront leur lieu de rendez-vous et pour certains en garderont un souvenir heureux d’une première rencontre amoureuse et pour d’autres, un moment peut être de solitude, c’est ainsi …

Ces lignes blanches viendront dans quelques jours dessiner dans l’azur de Rodez des chemins dans « l’ouvert ».

 

Nicolas Sanhes, le 18 mai 2019

avec les notes prises durant les 5 mois de la construction de l’oeuvre

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